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Σάββατο 26 Νοεμβρίου 2016

1 - La Turquie entre Washington et Moscou

1 - La Turquie entre Washington et Moscou

Nous sommes à quelques enjambées de la prise effective du pouvoir présidentiel à Washington, par Donald Trump et la question de ses rapports avec la Russie de Poutine est sur toutes les lèvres. Il est donc intéressant de connaître la position de ses admirateurs en Russie et particulièrement, en rapport avec la question majeure de l’avenir de la Turquie d’Erdoğan qui semble attendre beaucoup de Trump. 
Le Katehon est un think tank russe, fanatiquement pro-Trump,  qui regroupe les eurasianistes poutiniens, inspirés par le professeur russe Alexandre Dugin, avec la collaboration d’intellectuels turcs et américains. Sur une page, «qui sommes-nous», ce groupe se définit ainsi : «Nous nous intéressons particulièrement aux organisations  incarnant  la multipolarité : BRICS, Organisation de la Coopération de Shanghai [pro-russes].Nos contributeurs sont fermement attachés aux principes de l’école géopolitique continentale [Eurasianisme]. De plus, nous soulignons l’importance de l’identité religieuse et culturelle dans les relations internationales [Orthodoxie chrétienne poutinienne] ».
Quelle fut l’interprétation du groupe Katehon, du coup d’état manqué, du 15 juillet 2016, en Turquie? Un de ses membres, l’historien turc Mehmet Perinçek, de formation russe, écrivant en turc et en russe, qui avait été emprisonné par Erdoğan, en 2011, sur l’accusation d’avoir participé à l’organisation secrète kémaliste Ergenekon, accusa, au lendemain du coup manqué, l’ancien premier ministre d’Erdoğan,  Ahmet Davutoğlu  d’avoir comploté avec les services secrets américains et les militaires de la base américaine en Turquie, Incirlik, avec le soutien de Hillary Clinton et de l’imam  pro-américain Fethullah Gülen,  pour renverser Erdoğan, alors que milieux kémalistes n’avaient, en aucune façon, soutenu les putschistes.
Davutoğlu aurait admis que c’est lui qui aurait donné l’ordre d’abattre l’avion de chasse Su-24, en novembre 2015, à la frontière syro-turque, selon le journal turc de grande audience,  Hürriyet. Les autorités turques déclarèrent que juste avant que l’avion russe fût abattu, le premier ministre Davutoğlu avait changé les règles concernant la réponse exigée des pilotes turcs à  d’éventuels incidents militaires aériens, en plaçant la décision de la riposte entre les mains des pilotes turcs eux-mêmes. En même temps, Davutoğlu admit que le 10 octobre 2015, c’est lui qui avait donné l’ordre d’abattre immédiatement tout avion qui violerait l’espace aérien turc. 
Les pilotes turcs qui abattirent l’avion  russe auraient été membres de l’organisation de Fethullah Gülen, «qui opéraient pour le compte de la CIA». Ces mêmes pilotes participèrent au coup anti-Erdoğan du 15 juillet 2016. Selon les autorités turques, l’attaque turque contre l’avion russe était une provocation délibérée, ayant pour objet d’opposer la Russie à la Turquie, au moment même où ces deux pays étaient sur le point de se rapprocher. Cette opération aurait été menée sous l’instigation de la CIA et aurait pour but ultime le renversement d’Erdoğan et son remplacement à la tête du pays par Davutoğlu, un protégé  de Hillary Clinton.
D’après les milieux pro-russes,  Davutoğlu aurait été responsable de l’échec du rapprochement entre Erdoğan et les Kurdes en Turquie, puisque Davutoğlu acceptait de promouvoir le plan américano-israélien de formation d’un État kurde sur le flanc sud de la Turquie, en encourageant les rebelles syriens et l’organisation État islamique à combattre les Russes. Ni la Russie, ni la nouvelle administration Trump, ne souhaiteraient encourager la sécession kurde, au détriment de l’intégrité territoriale de la Turquie.
Si les militaires kémalistes, anciennement opposés à la politique d’Erdoğan, ne soutinrent pas les putschistes du 15 juillet, c’est parce qu’ils se rendirent compte que les insurgés mettaient en danger la souveraineté du pays et sa politique d’indépendance.
Un autre membre du groupe Katehon, le professeur américain Alexander Azadgan, de fortes convictions religieuses, défend également les positions russes de rapprochement avec Erdoğan.  Ce groupe, d’ailleurs, jubila à l’annonce de la victoire électorale de Trump et de la défaite de l’anti-russe Hillary Clinton. Voici, comment réagit l’inspirateur du groupe, Alexande Dugin , dans un de ses articles, intitulé «L’étonnante victoire de Trump et la défaire écrasante du globalisme» , dans lequel il déclara que «le 8 novembre 2016  fut une victoire très importante pour la Russie». Pourquoi? D’abord parce que la victoire de Trump montre qu’il y a aujourd’hui deux Amériques, l’Amérique de Hillay Clinton et l’Amérique de Donald Trump. «L’Amérique de Trump est traditionnelle et conservatrice, saine et digne de respect. C’est la véritable Amérique, le début d’une révolution américaine».
Le président Erdoğan vient, lui aussi, de s’exprimer clairement en faveur de Trump qui a déclaré que la Turquie est un allié d’extrême importance pour les États-Unis. Il sait que le danger d’une sécession  kurde s’éloigne, dans l’éventualité, à partir de janvier 2017, d’un rapprochement américano-russe.
Qui paiera les pots cassés?  La Grèce probablement. En effet, la théorie des vases  communicants, en politique internationale, comme partout ailleurs, selon laquelle la nature a horreur du vide, exige que le vase devenu vide, à savoir la Grèce, soit comblé par le vase trop plein, la Turquie.
Les deux rives de la mer Égée sont restées séparées depuis le démantèlement de l’Empire ottoman. Il s’agit d’une anomalie jamais vraiment acceptée ni par le peuple grec, ni par le peuple turc. En 1919, la Grèce représentait le vase plein, alors que la Turquie était le vase vide. Néanmoins la conquête de la Turquie par la Grèce qui s’ensuivit, fut un échec et en 1923, le traité de Lausanne fut signé, séparant les deux rives de l’Égée entre Grèce et Turquie. Aujourd’hui, Erdoğan  déclare que ce traité est obsolète et qu’il doit être révisé en faveur de la Turquie qui devrait avoir sous son contrôle les deux rives de cette mer fermée.
La Grèce est à présent, totalement isolée. Simple colonie d’une Europe allemande, en même temps rejetée et méprisée par Berlin, elle ne peut plus se tourner vers la Russie se rapprochant de la Turquie, ni des États-Unis tendant à former un triumvirat Washington-Moscou-Ankara, auquel pourrait prochainement s’ajouter l’Iran. La Chine, principal adversaire de l’Amérique de Trump, n’es pas en mesure de l’aider. Son seul espoir contre son démantèlement est une entente de type Nouveau Yalta, entre Moscou et Washington, qui  laisserait à une Grèce territorialement amputée, une certaine protection de la part de la Russie.
Entre temps, les négociations qui se déroulaient en Suisse, entre les communautés grecque et turque de Chypre, qui semblaient prêtes d’aboutir, viennent d’être suspendues, à la suite de pressions d’Erdoğan sur la communauté chypriote turque, qui attend l’entrée en fonction de Trump en janvier, pour rencontrer une situation plus avantageuse pour elle. La défaite de Hillary Clinton, le 8 novembre dernier, a eu donc des conséquences fort négatives pour Athènes. Quant à l’Europe, qui a exclu par un vote massif de son parlement, l’incorporation de la Turquie, tout en se montrant fort compréhensive pour le révisionnisme turc, du traité de Lausanne, rappelant le révisionnisme allemand, contestant le traité de Versailles par l’Allemagne, cette Europe est tout simplement moribonde. Le cliquetis des armes se fait déjà entendre clairement dans la mer Égée.


Dimitri Kitsikis                                24 novembre 2016